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Québec à la rescousse des maisons Gilles-Carle

Michèle Ouimet, d’amoureuse libre à proche aidante épuisée

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La romancière Michèle Ouimet.

La romancière Michèle Ouimet. (Marco Campanozzi/La Presse)

Après la journaliste, puis la romancière, voici l’amoureuse. Une femme furieusement libre, devenue avec les années proche aidante. Pas que pour le meilleur, mais beaucoup pour le pire. Michèle Ouimet, dont on croyait plutôt bien connaître la plume, publie ces jours-ci son texte le plus intime à vie. Et ça fesse.


Parce que parfois, pour survivre, ça prend ça.

«Il fallait que j’écrive cette histoire. J’ai commencé six mois après la mort d’André. Ça m’habitait trop, confie-t-elle d’emblée, attablée en ce vendredi matin radieux, dans un café où elle a ses habitudes. Et ça a été très thérapeutique.»


Dans La Bête, publié ce mardi chez Boréal, un roman «à 90 % vrai» – seuls certains noms ont été changés, et quelques personnages inventés–, l’autrice revient sur sa rencontre avec André, donc, «son» André, sa fameuse «Bête». Un homme avec qui elle a partagé trente ans de sa vie, qui a aussi été affublé de plusieurs diagnostics aussi effrayants qu’improbables avec les années: Parkinson, dépression, trouble anxieux, sans oublier cette «aphasie primaire progressive de type sémantique». Dire qu’aux débuts, ils en ont ri, d’une première gestion de crise par le déni d’une série.

Car cette aphasie à coucher dehors a un nom plus commun, disons. C’est une démence, finira-t-elle par comprendre, à force de fouiller le web, pour éclairer ses dérangeants comportements, au mieux inhabituels, au pire meurtriers.

Vous avez bien lu: meurtriers. Le texte commence d’ailleurs sur ces mots, brutaux. «J’ai envie de te tuer. Ça fait une semaine qu’André me répète qu’il veut me tuer», une envie qui lui reviendra sporadiquement, sans crier gare, qu’il mènera presque à exécution, en plus de la diriger vers son psy, et même son propre fils. Imaginez l’effroi.

Après avoir publié quelques romans (<i>La promesse, L’heure mauve, L’homme aux chats</i>), voici Michèle Ouimet toujours aussi directe, par bouts effectivement cinglante, mais en prime vulnérable.

Après avoir publié quelques romans (La promesse, L’heure mauve, L’homme aux chats), voici Michèle Ouimet toujours aussi directe, par bouts effectivement cinglante, mais en prime vulnérable. (Marco Campanozzi/La Presse)

On se souvient de l’écriture parfois cinglante, toujours directe, d’une précision redoutable, de la journaliste qui a couvert quantité de guerres, gravité 29 ans à La Presse, avant de prendre sa retraite, en 2018. Après avoir publié quelques romans (La promesseL’heure mauveL’homme aux chats), voici Michèle Ouimet toujours aussi directe, par bouts effectivement cinglante, mais en prime vulnérable.

Envahie, surtout, d’une infinie culpabilité, de laquelle elle peine à ce jour à se débarrasser. Même après «deux ans et quatre mois aujourd’hui», comme elle le précisera, de sa rigueur habituelle, pour souligner la date fatidique de la mort d’André.

Avant d’aller plus loin, une précision. Certes, on a connu Michèle Ouimet comme collègue, suffisamment intime pour nager à ses côtés plusieurs années. Mais jamais assez pour connaître tous les détails de sa vie privée. Elle se dévoile ici sans pudeur, avec d’habiles allers-retours dans le temps, pour tricoter un récit où se mêlent drame et amour, maladie et passion, menaces de mort et séduction. De leur toute première nuit ensemble («Fuck, un homme marié»), quand elle avait 39 ans, jusqu’à la première fois où elle osera se dire «veuve», à 70 ans, en passant par les divers et épiques séjours d’André aux urgences psychiatriques.

Et ce n’est pas un hasard. «Je ne voulais pas qu’André soit réduit à la maladie», explique-t-elle, les yeux tout à coup pleins d’eau, comme ils le resteront tout le long de l’entretien.


«Il a aussi été un amoureux, un père, etc. […] Mais André a été tellement diminué par la maladie. Ce n’était tellement pas lui. Tellement plus lui.»

—  L'autrice Michèle Ouimet

N’allez pas croire que leur histoire d’amour ait été fluide, ceci dit. Tout le contraire. Leur amour a été «compliqué». «Comme beaucoup de relations», confirme-t-elle, avec plusieurs ruptures, déménagements, et une conjugalité essentiellement «déconstruite». Lire: chacun chez soi. Des débuts, jusqu’à la toute fin. «Mais ça ne nous a pas empêchés de nous aimer!»

Même redoutable franchise du côté de sa maladie. «Je découvre l’univers de la psychiatrie» résume-t-elle, avec son langage hermétique, et toutes ses consignes sanitaires absurdes, en pleine pandémie, faut-il le préciser. Coups de gueule contre les maudites jaquettes d’hôpital inclus. «Je ne veux pas régler de comptes, nuance-t-elle, mais je raconte la réalité comme je l’ai vécue.»

C’est ainsi que, tout en soulignant le professionnalisme de nombreux «anges gardiens», Michèle Ouimet ne se privera pas pour faire du «terrorisme téléphonique» ici ou là et pour avoir enfin divers services indispensables requis (couper les ongles, la gestion des pilules, etc.) notamment de la part du CLSC, coupés pour d’obscurs motifs bureaucratiques. Et disons que dans ce système médical «carré», on n’est pas à une bureaucratie enrageante près, découvre-t-on au fil des pages et des crises d’André.

«Ça me fait beaucoup de bien de faire ce retour sur tout ce qui s’est passé, de mettre de l’ordre dans mes sentiments, d’enlever les tabous et de nommer la culpabilité que je vis encore. […] Ma psy était tout à fait d’accord à ce que j’écrive ce livre. Je veux que les gens soient conscients à quel point les proches aidants sont abandonnés. Quand André est mort, j’étais épuisée psychiquement…»


Cela fait plus de deux ans, on l’a dit. Elle va mieux, mais elle se sait encore fragile. Ça paraît. Elle craint de s’effondrer en entrevue, comme à son lancement prochainement

N’empêche que fidèle à elle-même, Michèle Ouimet conclut sur une note positive. Non, elle ne tournera jamais la page, «cette page est trop lourde, le deuil prendra différente forme, mais il sera toujours présent», mais Dieu merci elle a des petits-enfants aujourd’hui. Son vélo, la nage et des projets d’écriture. «Non, André ne sera pas là quand je vais être vieille, sait-elle, mais… on verra! Je fais ce que je fais de mieux: le déni!» resourit-elle enfin.

En librairie le 7 octobre


Ma Bête
Michèle Ouimet
253 pages

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