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Québec à la rescousse des maisons Gilles-Carle

Proches aidantes: aider sans y laisser sa peau

 

Plus de 170 000 personnes sont atteintes de troubles neurocognitifs au Québec. Et la plupart ont besoin de soutien au quotidien. Comment devenir proche aidante sans sacrifier sa propre santé ?

Par Daniel Chrétien

24 août 2025

Proches aidantes: aider sans y laisser sa peau

Photo: Getty Images/Cavan Images

Il y a 5 ans, lorsque sa mère a commencé à se répéter et à poser plusieurs fois les mêmes questions, Linda Charron s’est inquiétée. Et, malheureusement, ses craintes se sont confirmées: Pierrette, alors âgée de 72 ans et qui était dans une forme physique redoutable, commençait à avoir des problèmes cognitifs.

À l’époque, Pierrette vivait toujours avec son mari. Ils partageaient leur temps entre la Côte d’Azur, en France, et les Laurentides. Mais lorsque ce dernier est décédé subitement, en novembre 2023, Linda a dû se résoudre à installer sa mère dans une résidence pour personnes âgées en perte d’autonomie. Une première épreuve. « Quand je suis allée la conduire, je me suis sentie comme une mère qui laisse pour la première fois son enfant à l’école », raconte Linda, dans un récit chargé de lourds silences.

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Pendant les 12 mois suivants, la maladie a continué sa progression. Linda a alors décidé de sortir sa mère de la résidence et de l’emmener vivre avec elle en Alberta – où elle et son mari ont déménagé en décembre 2024 – afin d’en prendre soin. Un défi de tous les instants, constatera rapidement la mère de famille de 59 ans.

Le Québec compte 2,4 millions de personnes – en majorité des femmes – qui, comme Linda, fournissent des soins à un proche au minimum une heure par semaine, selon les données compilées par l’organisme l’Appui, qui soutient les proches aidants. Parmi elles, environ 250 000 le font auprès de personnes aux prises avec un trouble neurocognitif comme l’alzheimer. Et le nombre de proches aidants devrait augmenter au cours des prochaines décennies dans la province, puisque de plus en plus de Québécois seront atteints de troubles cognitifs. Leur nombre passera de 170 000 actuellement à 300 000 en 2040, indique Marie Christine Le Bourdais, directrice des programmes et services à la Société Alzheimer de Montréal.

 

Qu'est-ce que la maladie d'Alzheimer?

Si la question est simple, la réponse l’est beaucoup moins. «La maladie d’Alzheimer est un phénomène, d’abord biologique, de bouleversement des protéines au niveau des neurones, dont on n’a pas encore bien compris la cause, explique le Dr Thomas Tannou, gériatre et chercheur à l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal. Mais on sait que cette altération des protéines entraîne petit à petit – au fil de plusieurs stades bien documentés – la mort des neurones. »

Premier symptôme: les problèmes de mémoire. La maladie continue toutefois de progresser jusqu’à avoir des effets sur certains aspects de la personnalité, dont l’inhibition et la planification. «Les personnes atteintes vont dire plus spontanément ce qu’elles pensent, être plus joviales, mais aussi être beaucoup plus dans l’émotivité et dans la tristesse.»

Linda Charron en sait quelque chose. Depuis peu, sa mère n’a plus le même entrain. Souvent morose, elle fait des colères et tombe rapidement dans l’autocritique. «Elle qui a toujours été si en forme dit maintenant qu’elle n’est pas bonne. Elle oscille entre la conscience qu’elle est malade et l’ignorance de sa maladie.»

Il faut par ailleurs comprendre que les gens atteints de la maladie d’Alzheimer ont de la difficulté non pas à se rappeler les souvenirs, mais à mémoriser de nouvelles informations. C’est pourquoi ces personnes se souviendront des événements de leur jeunesse, mais pas de ce qu’elles ont fait la veille.

La maladie altère aussi la perception. Ainsi, une dame de 80 ans peut se croire plutôt âgée de 40 ans. Pour elle, il est donc impossible que la femme de 60 ans qui vient la visiter soit sa fille, plutôt que sa sœur ou même sa propre mère. «Mais même si elle ne reconnaît pas la femme qui se trouve devant elle, montrez-lui une photo de sa fille à 30 ans et il y a de fortes chances qu’elle la reconnaisse», ajoute le Dr Tannou.


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Prioriser les émotions

Pas facile, on en convient, de maintenir une relation avec une personne qui ne nous reconnaît plus. Marie Christine Le Bourdais estime qu’il ne faut pas se laisser abattre pour autant. Même si la personne oublie
notre présence aussitôt qu’on a quitté la pièce, il vaut la peine d’aller la visiter. «Il faut se concentrer sur l’être humain et non sur sa maladie. Et se mettre dans sa peau. Si vous étiez à sa place, vous aimeriez sans doute recevoir de la visite.»

Pour garder un bon contact malgré tout, Marie Christine Le Bourdais suggère de faire appel aux émotions, car le cœur, lui, n’oublie pas. «La personne ne sait peut-être pas qui on est, mais elle ressent qu’elle est bien avec nous. Il faut prioriser tout ce qui passe par le cœur et les sens, comme écouter de la musique, regarder des photos, assurer une présence bienveillante», explique-t-elle.

 

Avoir des attentes réalistes

Autre conseil : évitez autant que possible de placer la personne malade en situation d’échec. «La maladie apporte déjà son lot d’anxiété», explique le Dr Tannou.

Comme la personne est déjà anxieuse, elle n’a certainement pas besoin que vous testiez sa mémoire… «Quelques phrases sont donc à rayer de votre vocabulaire: “Te rappelles-tu la fois où… Te souviens-tu
de moi… Sais-tu qui je suis?” Tout ça ne fait que placer la personne devant le fait que non, elle ne s’en souvient plus», précise Marie Christine Le Bourdais, consciente que ce genre de question sert en fait souvent à se rassurer soi-même.

Mais comment agir, lorsque notre proche nous pose 10, 15, 20 fois la même question? Si la personne malade veut par exemple savoir où est sa mère, décédée il y a des années, Marie Christine Le Bourdais recommande de tenter de la faire parler de sa mère ou de détourner le sujet, ou même parfois, simplement, d’emmener la personne dans une autre pièce pour lui changer les idées. Bref, mieux vaut éluder la question, car chaque fois qu’on lui «annonce» que sa mère est morte, on la replonge dans le deuil.

Marie Christine Le Bourdais suggère aussi de creuser un peu pour connaître les raisons qui font que la personne réclame sa mère. «Elle a peut-être faim, et sa mère avait l’habitude de lui préparer ses collations? Elle est peut-être triste et cherche le réconfort maternel?»

 

Le deuil avant l'heure

Pour Linda Charron, la maladie d’Alzheimer force à faire un premier deuil. «Pierrette, ce n’est plus vraiment ma mère, d’une certaine façon. La voir dépérir mentalement, alors qu’elle est encore tellement en forme, cela exige beaucoup de détachement de ma part. C’est comme si j’allais la perdre deux fois.»

Linda vit ce que les spécialistes appellent un deuil blanc. «Elle doit faire le deuil de quelqu’un qui est encore là, explique Marie Christine Le Bourdais. Et ce deuil est confrontant, car il fait cohabiter deux émotions contradictoires. J’ai ma mère devant moi, toujours vivante, mais ce n’est plus ma mère.»

La situation, on s’en doute, est très difficile à vivre pour les proches aidants. Le deuil blanc est souvent encore plus pénible, car au contraire du deuil causé par la mort, il ne suppose pas de finalité. La directrice à la Société Alzheimer de Montréal suggère fortement aux proches aidants de ne pas s’isoler dans le silence. «Il faut parler de ce deuil, s’entourer, faire appel à des groupes de soutien, ne serait-ce que pour constater que nous ne sommes pas seuls à vivre ces émotions», dit-elle.

Linda a trouvé ce réconfort auprès de trois bonnes amies qui sont déjà passées par là. Mais si vous n’avez pas sa chance, de nombreux organismes peuvent vous venir en aide de façon ponctuelle ou sur une base régulière. La Société Alzheimer, bien sûr, présente dans toutes les régions du Québec, mais aussi l’Appui et le Baluchon Répit long terme.

Un point important demeure: la personne proche aidante doit prendre soin d’elle et s’offrir des moments de répit, car si elle tombe au combat, elle ne sera plus d’une grande utilité. «C’est comme en avion, on met son masque à oxygène en premier», fait remarquer Marie Christine Le Bourdais.

Un combat contre la culpabilité

Linda s’est donné six mois pour espérer s’adapter à sa nouvelle vie avec sa mère malade. Les difficultés s’accumulent. Depuis peu, Pierrette n’arrive souvent plus à comprendre des consignes simples comme jeter son papier hygiénique dans la cuvette – et non dans la poubelle –, tirer la chasse d’eau, ne pas piocher dans son assiette avec ses mains… «Il faut que je la suive tout le temps.»

Les quelques mois où elle a vécu avec sa mère ont permis à Linda de se rendre compte qu’elle était arrivée au bout de ses ressources. «Prendre soin de ma mère au quotidien, m’occuper de son hygiène, c’est au-dessus de mes forces, avoue-t-elle. Nous emménagerons bientôt dans une nouvelle maison, et ma mère ne nous suivra pas. Je lui cherche en ce moment une résidence adaptée à son état. »

Linda apprend donc à lâcher prise, à se détacher. Ce qui vient immanquablement avec un sentiment de culpabilité. «Il y a toujours ce petit côté judéo-chrétien qui nous happe dans le détour», dit-elle.

 

Pour Marie Christine Le Bourdais, Linda n’a pas à se sentir coupable de la situation. «Vient un moment crunchy où nos capacités ne peuvent pas répondre à la complexité de la situation, même si on aimerait en faire plus. C’est tout à fait normal.»

 

Daniel Chrétien

Daniel Chrétien

Journaliste depuis plus de 30 ans, Daniel Chrétien se passionne pour les magazines. Il a notamment mis sa plume au service de Québec Science, de L'actualité et de Châtelaine, où il a travaillé comme rédacteur en chef adjoint pendant cinq ans. Au cours de sa carrière, il a remporté une dizaine de prix de journalisme, dont le prix Jean-Paré, remis au journaliste magazine de l'année au Québec. Aujourd'hui journaliste indépendant, il continue à collaborer avec Châtelaine sur une base régulière, en signant des reportages culturels ou traitant de sujets sociaux qui touchent les femmes.

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