Actualité et revue de presse

Québec à la rescousse des maisons Gilles-Carle

Les proches aidants coincés dans les limbes du système d’assurance-emploi

​​​​​​Lise Henley et sa fille de 35 ans atteinte d'un cancer. Mme Henley est devenue proche aidant pour prendre soin de sa famille mais n'a reçu aucun montant par l'assurance emploi.
Photo: Adil Boukind Le Devoir Lise Henley et sa fille de 35 ans atteinte d'un cancer. Mme Henley est devenue proche aidant pour prendre soin de sa famille mais n'a reçu aucun montant par l'assurance emploi.

Sans revenu depuis trois mois parce qu’elle doit s’occuper à temps plein de sa fille handicapée, à qui l’on vient de diagnostiquer un cancer, une mère réclame une bonification du programme d’assurance-emploi pour les proches aidants. Un cas qui est loin d’être unique — et qui témoigne de la nécessité d’adapter le soutien financier aux proches aidants, selon plusieurs organismes.

« Je suis découragée. Je veux juste m’occuper de ma fille, me concentrer sur sa maladie, mais j’ai toujours en tête les dettes et les factures qui s’accumulent. »

Jusqu’à tout récemment, Lise Henley travaillait à temps plein dans une pharmacie en plus de s’occuper de sa fille Catherine, qui est atteinte de déficience intellectuelle. Catherine, 35 ans, n’est pas autonome et habite avec sa mère dans la maison familiale de Saint-Colomban, dans les Laurentides. Lorsque sa fille n’allait pas bien, Mme Henley prenait congé.

Mais en janvier, l’équilibre précaire entre le travail et la proche aidance qu’elle réussissait à maintenir s’est soudainement effrité lorsqu’on a diagnostiqué un cancer des ganglions à sa fille. Depuis, les rendez-vous à l’hôpital s’enchaînent : tests, biopsie, chimiothérapie, suivis, etc. Catherine n’est pas capable de se rendre chez le médecin toute seule ni de comprendre tout ce que celui-ci lui dit. Et son anxiété la rend encore plus vulnérable au quotidien.

Dans cette situation, impossible donc, pour Mme Henley, d’aller travailler.

15 semaines d’indemnité vite passées

Armée d’un billet médical recommandant un arrêt de travail de neuf mois, elle s’est tournée vers le programme fédéral d’assurance-emploi pour les proches aidants, qui prévoit une indemnité lorsque l’état de santé du proche se détériore au point qu’il faille temporairement arrêter de travailler.

Mais, à sa grande surprise, on ne lui a offert que 15 semaines à 55 % de son salaire. Si sa fille avait été mineure, elle aurait eu droit au double. « Je me suis battue avec l’assurance-emploi, c’est épouvantable », confie Mme Henley. « Oui, ma fille a plus de 18 ans d’âge, mais elle n’a pas 18 ans de maturité. Mais eux, ils ne se fient qu’à la date de naissance. »

Par le temps que Catherine commence ses traitements de chimiothérapie, en mai, Mme Henley avait déjà épuisé ses prestations. « J’ai appelé le député fédéral, j’ai rempli tous les papiers. Là, j’attends. Je ne sais pas si la loi va changer, mais il faut que ça change — pour moi, parce que j’en ai besoin, et pour les prochains qui vont être pris comme moi. Ce n’est pas normal. »

Photo: Adil Boukind Le DevoirLise Henley et sa fille de 35 ans atteinte d'un cancer. Mme Henley est devenue proche aidant pour prendre soin de sa famille mais n'a reçu aucun montant par l'assurance emploi.

Mme Henley est donc sans revenu depuis le mois de mai. Elle a demandé l’aide de dernier recours, mais on la lui a refusée parce que son conjoint travaille. Sa famille tente de l’aider avec une campagne de sociofinancement GoFundMe, mais le remboursement du prêt hypothécaire est rapidement venu à bout de ces maigres dons. Aujourd’hui, elle paye les factures les plus urgentes avec ses cartes de crédit. Elle garde espoir que l’une des nombreuses démarches qu’elle a entreprises va aboutir de façon positive. « Je me croise les doigts. Et le soir, quand je me couche, je souhaite que le matin, ils aient pris mon dossier et le dépôt ait été fait dans mon compte. J’espère, parce que je n’ai plus rien. »

Une situation fréquente

Au Comité Chômage de Montréal, l’avocat Gabriel Pelletier a été témoin de plusieurs cas comme celui de Mme Henley. « C’est assez fréquent, malheureusement, qu’on reçoive des appels de personnes proches aidantes qui ont atteint la fin de leurs prestations », dit-il.

Dans tous les cas, il est obligé de leur dire qu’il ne peut pas les aider parce que la loi est ainsi faite. « On ne peut pas dire : “Le gouvernement a pris une mauvaise décision dans votre dossier, on peut vous aider ou vous défendre en cour.” Malheureusement, on doit leur dire qu’ils ont fait le tour de ce qui est offert. » L’avocat plaide pour des prestations plus généreuses pour les proches aidants, qui sont les parents pauvres de tous les programmes, selon lui.

« La solution aux problèmes des milliers de Mme Henley de ce monde — parce qu’il y a beaucoup de proches aidants au Québec, et ça va continuer d’augmenter —, c’est une solution politique. » Il affirme être en discussion avec différents partis politiques fédéraux pour proposer des améliorations aux prestations destinées aux proches aidants.

Et il n’est pas le seul. Le Centre canadien d’excellence pour les aidants fait des revendications dans le même sens. En février, l’organisme a présenté sa « stratégie nationale pour la prestation de soins », qui propose notamment une prestation de 50 semaines facilement accessible pour tous les proches aidants qui en ont besoin. « Nos conversations avec le fédéral continuent, et j’espère qu’ils vont voir la logique dans cette idée », affirme le directeur des politiques et des relations gouvernementales du centre, James Janeiro.

Un « choix impossible »

Selon le regroupement Proche aidance Québec, près de 60 % des aidants naturels sont en emploi. « Il y a des choses imprévues qui arrivent, ce qui fait que, malheureusement, les personnes proches aidantes se retrouvent à devoir faire un choix impossible : garder leur proche à la maison et s’en occuper, mais tomber dans un risque de précarisation financière, ou placer leur proche pour pouvoir poursuivre leur emploi », déplore sa directrice générale, Loriane Estienne.

Même son de cloche à L’Antr’Aidant, dans les Laurentides. « La prestation contribue à appauvrir les personnes proches aidantes », dénonce Julie Gravel, la directrice générale de l’organisme. Mais ce n’est pas le seul problème, dit-elle : il faudrait que le programme soit plus flexible pour mieux répondre aux besoins des proches aidants selon leur situation unique. « On pense que les prestations devraient être adaptées à la réalité des personnes proches aidantes. »

Tous les intervenants rappellent à quel point le travail des proches aidants est nécessaire.

« Les personnes proches aidantes sont des piliers essentiels à la société, dans le sens où elles allègent le fardeau sur le réseau de la santé », résume Mme Estienne. « Offrir des services de soutien adéquats à une personne proche aidante pour lui permettre de travailler coûterait probablement beaucoup moins cher que d’hospitaliser le proche. »

Concilier travail et proche aidance

Au Québec, des mesures de conciliation travail-proche aidance sont reconnues par la loi. Les proches aidants ont droit à deux jours de congé rémunérés et peuvent s’absenter jusqu’à 10 jours sans salaire sans que cela nuise à leur emploi. Mais lorsqu’ils doivent prendre un congé plus long, ils sont contraints de se tourner vers le programme d’assurance-emploi du gouvernement fédéral, que plusieurs organismes trouvent trop peu généreux.

Si Ottawa ne bonifie pas son programme, Québec pourrait prendre le relais, comme il l’a fait dans les années 1990 avec le régime d’assurance parentale, estime l’avocat Gabriel Pelletier, du Comité Chômage de Montréal. « Si l’État canadien n’est pas prêt à prendre ses responsabilités, ce sera au Québec de créer son propre régime », dit-il.

Retour à la liste des nouvelles

© Fondation Maison Gilles-Carle 2021. Tous droits réservés.