Pour les peuples autochtones qui ont été victimes de discrimination dans les établissements de santé, la guérison peut se faire en dehors des pratiques de santé conventionnelles. (Freepic), CC BY
Pendant près de deux décennies, j’ai travaillé comme thérapeute dans un grand hôpital psychiatrique de Toronto, où j’ai aidé des personnes souffrant de troubles mentaux graves. Bon nombre de celles que j’ai rencontrées étaient confrontées à des situations complexes mêlant diagnostics psychiatriques, maladies physiques chroniques, pauvreté et rupture du soutien familial et social. Les récits de peur, d’isolement, d’abus et d’abandon étaient omniprésents.
À l’occasion, j’ai été témoin de transformations profondes : des patients renouaient avec leurs proches, retrouvaient certains aspects de leur identité et se construisaient une vie pleine de sens au-delà de leur diagnostic. Malheureusement, ces résultats étaient généralement l’exception. Le plus souvent, les personnes faisaient des allers-retours à l’hôpital et étaient placées dans des institutions ou des établissements de prise en charge. Certaines ont perdu la vie avant d’aller mieux.
Si notre système de santé mentale manque clairement à ses obligations envers les personnes de tous horizons, j’ai constaté un préjudice particulier envers les patients noirs, métis et autochtones que j’ai rencontrés.
Le système semble conçu pour les abandonner, non seulement dans sa méthodologie, mais aussi dans les valeurs fondamentales sur lesquelles il repose.
Au cours de mon propre parcours vers le rétablissement de ma santé mentale, j’ai trouvé la guérison auprès d’aidants à travers l’Île de la Tortue (Turtle Island), plutôt que dans les limites d’un établissement de santé mentale ou dans les pages d’un protocole de traitement standardisé.
Il est courant pour les peuples des Premières Nations de parler d’« aidants » ou d’« aide » lorsqu’ils décrivent les personnes qui apportent un soutien relationnel à autrui. En tant que psychothérapeute communautaire, puis doctorant, je me suis de plus en plus intéressé à ces aidants, véritables héros méconnus du bien-être communautaire. Ils n’avaient pas nécessairement de diplôme universitaire dans le domaine de la santé mentale et étaient rarement reconnus ou rémunérés pour leurs efforts, mais ils faisaient de grands sacrifices personnels pour soutenir le processus de guérison de leur entourage.
Qui sont les aides autochtones ?
Ma recherche doctorale porte sur l’identité de ces aides autochtones, la nature de leur travail d’aide et le rôle de la langue et du dialogue dans les relations qu’ils établissent avec ceux qu’ils aident.
Voici ce que j’ai appris jusqu’à présent :
1. La connaissance est définie par l’expérience vécue
Les aidants autochtones sont des personnes qui émergent naturellement au sein de leur famille et de leur communauté, plutôt que des professionnels autoproclamés ou accrédités par un collège ou un organisme de certification. Leurs connaissances et leurs compétences sont ancrées dans leurs expériences, leurs obligations familiales et la confiance que leur accorde leur communauté. Ils combinent harmonieusement un soutien pratique, tel que les soins et l’intervention en cas de crise, avec un accompagnement relationnel et spirituel ancré dans les valeurs et les traditions ancestrales.
2. Le travail d’aide est global et relationnel
Le travail d’aide est une pratique intégrale et relationnelle ancrée dans les valeurs culturelles et la responsabilité familiale. Il s’agit d’un processus continu et réciproque de guérison, où l’acte d’aider contribue à la guérison de l’aidant, de la personne aidée et de la collectivité. Ce travail est guidé par une éthique de responsabilité relationnelle, nourri par le temps partagé et un dialogue profond orienté sur l’action. Il intègre les dimensions physique, émotionnelle, cognitive et spirituelle à travers la narration, la présence et l’engagement commun dans le travail, le repos, le jeu et les cérémonies. C’est un processus à long terme, fortement contextualisé et non linéaire.
3. La langue est un remède
Les langues autochtones constituent un modèle pour le travail d’aide et de guérison. Elles renferment des réseaux relationnels complexes qui façonnent la manière dont les gens se perçoivent eux-mêmes, perçoivent leur famille, leur monde et leur rôle au sein de la communauté au sens large. Alors que l’anglais est une langue analytique, basée sur les noms, le nêhîyawêwin (la langue crie) et de nombreuses autres langues autochtones sont polysynthétiques, basées sur les verbes et fortement contextuelles. Cette structure linguistique encode les liens de parenté, les responsabilités et les modes de relation avec les autres (humains et non humains).
Protecteurs et gardiens cris
Un exemple frappant de la richesse des langues autochtones est celui des mots utilisés pour désigner les « aînés », souvent sujets à débat, car le mot anglais ne traduit pas fidèlement de ce que les gens veulent dire lorsqu’ils font référence aux leaders-aidants de nos communautés.
Le mot Nêhîyawêwin (cri des Plaines) pour désigner un aîné est kisêyiniw. Il est souvent traduit simplement par « vieil homme », mais en réalité, il revêt une signification beaucoup plus profonde.
La racine kisê- vient du mot cri ê-kisêt, qui décrit un animal feignant d’être blessé pour protéger ses petits. La deuxième racine -niw- signifie « une personne », ce qui fait de kisêyiniw non seulement un vieil homme, mais aussi un protecteur et un gardien, qui se sacrifie pour les générations futures.
Kisêyiniw désigne ceux qui incarnent la responsabilité relationnelle : protéger, guider et endurer la souffrance pour le bien-être d’autrui. Ainsi, plutôt que d’être simplement une personne âgée, ou même une personne âgée porteuse de sagesse ou de leadership, le mot kisêyiniw renvoie à une personne qui incarne une responsabilité relationnelle envers la communauté.
Ce contraste de sens révèle comment la langue crie structure l’identité, la guérison et la responsabilité d’une manière que la traduction anglaise (ou française) ne parvient pas à saisir.
Un enfant contraint de cesser de parler sa langue maternelle et de ne parler que l’anglais perd les valeurs et les significations portées par les réseaux relationnels que véhicule ce mot, et ne conserve qu’une étiquette arbitraire. Je crois que cela est un élément central de la souffrance intergénérationnelle liée au système des pensionnats indiens.
Soins de santé mentale spécifiques à la culture
C’est l’une des raisons pour lesquelles les approches autochtones doivent réintégrer la langue comme pilier central de la guérison, en reconnaissant que les langues autochtones recèlent des systèmes complets de bien-être, de gouvernance, de relations et de régulation émotionnelle.
Des soins véritablement adaptés à la culture doivent donner la priorité à la revitalisation linguistique, aux cérémonies et aux soins basés sur la parenté en tant que pratiques fondamentales.
Les bailleurs de fonds, les décideurs politiques, les chercheurs et les cliniciens doivent reconnaître, financer et intégrer les aidants autochtones – les aînés, les chefs de cérémonie, les gardiens du savoir traditionnel et les aidants naturels identifiés par leurs communautés – comme des prestataires essentiels de soins de santé mentale, et non comme des compléments culturels.
Les gouvernements, les universités et les organismes de réglementation doivent lever les obstacles qui empêchent les aidants autochtones de participer pleinement aux professions de la santé mentale. Les efforts visant à inclure les aidants autochtones doivent éviter d’imposer aux pratiques d’aide autochtones les modèles occidentaux de psychothérapie, avec leurs frontières strictes et compartimentées.
Au contraire, nous devons restaurer la guérison intergénérationnelle fondée sur la parenté, en passant par les relations, les cérémonies, les pratiques liées à la terre et aux soins quotidiens.
Des soins de santé mentale véritablement adaptés à la culture et débarrassés de toute logique coloniale exigent de redonner les ressources et le pouvoir aux aidants, aux langues et aux communautés autochtones.