En moyenne, quatre enfants par classe se retrouvent avec un parent malade, blessé ou en dépression. Ces adolescents se retrouvent dans des situations difficiles et décrochent de leur scolarité. Des élèves du lycée agricole de Fontaines ont travaillé sur cette thématique pour aider les jeunes aidants.
Par Emmanuelle Viresolvit

Les jeunes aidants, « ce sont de supers héros, ils ont de super pouvoirs. Ils acquièrent des qualités en faisant ça. »
Photo Emmanuelle Viresolvit
« Il fallait leur faire comprendre qu’ils avaient droit de demander de l’aide. » Marie-Pierre Bockstall, infirmière au lycée agricole de Fontaines depuis huit ans, connaît bien ce milieu. Fille d’agriculteur, elle sait trop bien que « dans le milieu agricole, on ne se plaint pas ». Même quand ça va mal. Un cancer, une leucémie, un accident et c’est tout l’équilibre, familial et professionnel, qui est chamboulé. Les enfants se voient propulsés aidants, administrant des soins et cuisinant pour un parent diminué. Mais sans jamais demander d’aide. Marie-Pierre Bockstall a lancé il y a deux ans une manifestation pour Octobre rose avec toutes les associations qui soutiennent les malades. Le Réseau des aidants Nord 71 était présent. « On a eu 100-150 jeunes sur le stand, qui ne disaient rien mais posaient les bonnes questions », se souvient Raphaël Leichner, coordonnateur du Réseau.

Le Réseau des aidants 71, qui leur a soumis le projet, utilisera ces affiches pour tendre la main aux jeunes qui soutiennent leurs parents, soit quatre enfants par classe en moyenne. Photo Emmanuelle Viresolvit
« Des élèves invisibles »
De là est née l’idée de travailler avec une classe autour de la jeune aidance. Les élèves de première Conduite et gestion de l’entreprise agricole ont rencontré les intervenants du Réseau, ont vu le film Vingt Dieux au cinéma et ont créé des affiches pour sensibiliser le grand public. Elles ont été présentées ce lundi. « Des enfants invisibles », peut-on lire sur l’une d’elles. « J’ai mis le chiffre 4 par classe, je l’ai retenu parce qu’il y en a peut-être parmi nous », a expliqué un élève en présentant son affiche. En effet, selon les statistiques, quatre enfants par classe seraient aidants, soit 1 million d’enfants en France.
Durant cette année, aucun ne s’est manifesté comme aidant. Mais comme pour les adultes, il faut parfois du temps pour analyser sa situation. « C’est très normal, ils sont pudiques. C’est très mal vu de dire qu’on a des difficultés, explique Pauline Fouilland, professeure d’éducation socio-culturelle. Mais ils ont été investis dans le projet. »

Chaque élève a présenté son affiche. Photo Emmanuelle Viresolvit
Angoisse de mort et décrochage scolaire
« Ce sont de supers héros, ils ont de supers pouvoirs. Ils acquièrent des qualités en faisant ça », ont expliqué deux ados devant leur affiche. Les jeunes aidants développent en effet des compétences. « Leur point commun, c’est qu’ils acquièrent de la maturité, ils perdent leur insouciance. Ils se sentent toujours différents des autres jeunes et il y a une forme de solitude », pointe Lucille Drut Wicker, psychologue au Réseau, qui suit des jeunes dans tout le nord de la Saône-et-Loire.
Des associations relais
La psychologue travaille avec eux les émotions, « on leur dit qu’il y a une souffrance mais qu’il faut qu’ils pensent à eux. Les reconnaître dans cette souffrance, c’est un premier pas. Mais on n’avait pas encore de supports ». C’est chose faite avec les affiches des élèves. Sur la plupart d’entre elles figurent des QR-code pour renvoyer à des sites d’associations de soutien destinées aux jeunes : Jade et Pause brindille.

Angoisse de mort, culpabilité… un équilibre à trouver
Lucille Drut Wicker est psychologue au Réseau des aidants Nord 71. « On fait de la sensibilisation. On repère les jeunes aidants. Mais la plupart ne se disent pas du tout aidant. » Soutenir son parent malade est naturel. « Tous souffrent, ils ont l’angoisse de l’avenir, de la reprise de l’exploitation agricole. Il y a une souffrance mais on leur dit “il faut que tu penses à toi”. On donne des conseils pour trouver un équilibre », explique-t-elle. Les jeunes qu’elle suit sont de différents établissements, l’une d’entre eux doit aider sa mère atteinte d’un cancer et n’a pas d’amis. Elle se renferme sur elle-même.
Le cocon familial n’est plus sécurisant
« Le fondement de l’adolescence, c’est de se séparer du cocon familial, qui est sécurisant. Là, il est empreinté par l’angoisse de mort. Il y a aussi la notion de culpabilité. » Les jeunes décrochent au niveau scolaire , se renferment et s’en veulent d’être loin d’eux. Un sentiment renforcé pour des élèves du lycée agricole, qui sont en internat la semaine. « J’ai suivi une élève qui a refusé l’internat, parce que sa mère avait un cancer. » Il y a beaucoup de somatisation chez ces ados, des maux de ventre, des problèmes de sommeil… Ils ont un rôle qu’ils ne devraient pas supporter si jeunes mais qui les marque : beaucoup s’orientent ensuite vers des métiers dans le soin ou le social.